Histoire : Troarn à travers les siècles
TROARN À TRAVERS LES SIÈCLES
Troarn est située dans la Normandie centrale aux confins de la Campagne de Caen et du pays d’Auge, sur la route de Caen à Rouen et sur l’autoroute de Normandie, au bord de la Dives, rivière qui marque traditionnellement la limite entre la Basse-Normandie et la Haute-Normandie.
Par ses maisons de pierre calcaire, Troarn appartient à la plaine de Caen ; par ses environs boisés et bocagers, la butte de Troarn appartient au pays d’Auge. Des relevés archéologiques trop vite arrêtés, ont révélé que le site de Troarn était habité depuis les temps préhistoriques, mais le bourg n’apparaît dans les documents écrits qu’à partir du XIème siècle en relation avec l’installation des moines bénédictins.
I - TROARN AU TEMPS DES MOINES BÉNÉDICTINS, XIe-XVIIIe siècles
Au milieu du XIe siècle, l’abbaye Saint-Martin de Troarn est fondée par une des plus puissantes familles du duché de Normandie, les Montgomeri, adversaires, puis ralliés et proches du duc Guillaume, le futur conquérant d’Angleterre. Très vite, le monastère devient considérable, protégé par les ducs de Normandie, puis, après la réunion de la Normandie au domaine royal en 1204, par les rois de France eux-mêmes qui conservent le monastère comme abbaye royale. Dés le XIIème siècle, l’abbaye abrite une quarantaine de moines. L’ampleur des bâtiments et de l’église abbatiale - une des plus grandes de la Normandie - révèle la richesse foncière dispersée en Normandie et en Angleterre. L’abbaye contrôle huit prieurés. En tant que baron, l’abbé de Troarn rend la justice sur bien des localités environnantes. L’abbaye a sa place à l’Echiquier et aux Etats de Normandie. Au XVème siècle elle est associée à la fondation de l’Université de Caen, à laquelle elle demeura agrégée jusqu'à la Révolution.
Pendant plus de sept cents ans les Bénédictins chantent, à Troarn, la gloire de Dieu associant, pour le reste du temps, travail manuel et travail intellectuel. Sous le patronage de saint Martin, fort populaire en France et notamment en Normandie, l’abbaye de Troarn développe ses oeuvres charitables : aumônerie (où affluent des milliers de pauvres, au XIIIe siècle, entre Pâques et la Toussaint), maladrerie (à Troarn), léproserie et hôpitaux dans les environs.
A l’ombre de ce puissant monastère, Troarn se développe avec ses deux églises paroissiales (Sainte-Croix et Saint-Gilles), son marché du samedi, ses deux grandes foires : Saint-Martin d’hiver et Saint-Martin d’été. Les moines, bâtisseurs de la halle, y réglementent les poids, les mesures et les prix. Ils entretiennent rues et chemins, notamment la route de Troarn à Caen, refaite au XVIIIe siècle, et la chaussée de Troarn à Saint-Samson interrompue par le bac de la Dives, dont le péage permet d’assainir la vallée marécageuse.
Lors des guerres de religion, après le pillage des églises et des monastères de Caen en 1562, les protestants arrivent à Troarn, sous la direction de seigneurs, dont plusieurs sont vassaux de l’abbaye. Une ou les deux bibliothèque sont incendiées. Dans l’église disparaissent les vitraux, les statues et les meubles. L’année suivante une nouvelle armée protestante arrive de Dives, prieuré dépendant de Troarn, où elle a brûlée la Croix miraculeuse qui attirait la foule des pélerins. Tout en ruinant le cloître et en descendant les cloches de l’abbaye, les protestants dévastent l’église paroissiale Saint-Gilles, de telle manière que, désormais, Troarn devra se contenter de la seule église et paroisse Sainte-Croix.
De ce désastre, l’abbaye de Troarn se relève difficilement. Au XVIIIe siècle, un prélat, Monseigneur du Bouchet, évêque de Dol-de-Bretagne et abbé de Troarn, fonde un hospice à Troarn avec les aumônes de l’abbaye (1745-1748). Son successeur, l’abbé de Giry, y fait venir les Filles de la Charité, d’abord trois, puis une institutrice pour les filles du bourg, puis trois nouvelles religieuses pour le soin des infirmes.
Deux salles sont ouvertes par l’abbé de Véri. Auparavant, en 1767, les quinze moines de Troarn avaient demandé leur sécularisation. L’abbaye royale bénédictine de Troarn est supprimée en 1786. A sa place le roi de France, Louis XVI, et le pape Pie VI, établissent à Troarn un chapitre de chanoinesses nobles, annexé à la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr. Une abbesse et six chanoinesses sont désignées en 1788, quatre chapelains continuant à acquitter les fondations de l’abbaye supprimée.
En cette fin du XVIIIe siècle, Troarn est un gros bourg de 900 habitants, avec son marché, ses commerces, ses trois « cabarets » (ou débits de boissons), ses maisons de pierre le long de la route de Rouen. Sa population d’artisans, de paysans et de notables est alphabétisée à plus de 60% chez les hommes et prés de 50% chez les femmes.
II - TROARN DEPUIS LA RÉVOLUTION DE 1789 JUSQU'À NOS JOURS
Avec la révolution de 1789 qui interdit les voeux de religion, l’installation des dames chanoinesses s’avère impossible. Sans doute, en 1790, il ne se trouve pas un seul habitant pour accepter de transporter à Caen, les meubles monastiques. De même, en 1791, le curé de Troarn et son vicaire refusent-ils de prêter serment aux réformes ecclésiastiques, à la fureur des révolutionnaires du bourg. L’installation d’un nouveau curé nécessite l’envoi d’une douzaine de cavaliers, puis de vingt cinq, chargés de maintenir l’ordre. Le 13 juillet 1791, en route pour la Fête de la Fédération qui est organisée à Caen pour le lendemain, des gardes nationaux envahissent l’hospice pour obliger les religieuses à assister à la messe du curé révolutionnaire ou, à défaut, à l’embrasser... Malgré le soutien du maire de Troarn, ces jacobins n’obtiennent aucun succès et le scandale est énorme au point d’obliger les autorités du Calvados à destituer le maire (octobre 1791). Sous la Terreur, les prêtres réfractaires doivent se cacher, tantôt à l’hospice, tantôt dans les bois des environs. Quant à l’abbaye, elle est achetée en 1792 par un greffier de Caen qui la revend peu après. Les nouveaux propriétaires, enrichis dans les travaux routiers, démolissent la grande église abbatiale et, avec les pierres, renforcent la route de Rouen. Le site de l’église est ensuite planté de pommiers.
La Révolution et Napoléon passés (Troarn est occupée par les Prussiens après Waterloo en 1815), la vie à Troarn redevient plus paisible et plus constructive. Sous le règne de Charles X, en 1825-26 est levé le cadastre qui permet de délimiter exactement la commune. Sous le règne de Louis-Philippe, une mairie est construite au bord de la route, dans un style néo-classique, selon le goût italien, tandis qu’un nouveau clocher est bâti devant l’église dans le style roman avec une flèche gothique (1836). A la fin du XIXe siècle l’église est elle-même entièrement reconstruite dans un style roman. Tandis que l’hospice se développe, un orphelinat de filles est ouvert par l’Oeuvre de Notre-Dame de Caen qui y donne une instruction élémentaire jusqu'à 12 ans. Depuis 1884 Troarn est desservi par le chemin de fer de Caen à Dozulé, qui met les habitants à 15 minutes de Caen par train direct. En ce dix-neuvième siècle, malgré le choléra, les fièvres liées aux marais ont tendance à reculer.
Mais la guerre, bien présente sous Napoléon Ier, revient avec Napoléon III en 1870-71.
Malgré son rôle de chef-lieu de doyenné et de chef-lieu de canton, Troarn voit le chiffre de ses habitants diminuer. En 1912 lorsque le bourg inaugure avec faste un calvaire monumental, taillé dans le granite des collines de Basse-Normandie et installé à l’emplacement de l’ancienne église Saint-Gilles, Troarn ne compte même pas 600 habitants.
Avec ses morts, la guerre de 1914-1918 accélère le déclin. Sans doute, la paix revenue, vont arriver l’électricité puis l’eau courante. Mais c’est un bourg endormi, avec seulement 672 habitants en 1921 et 674 en 1936, que la deuxième guerre mondiale précipite, en 1944, dans une de ses plus gigantesques batailles : le débarquement des Alliés et la bataille de Normandie. A proximité de la tête du pont du débarquement, Troarn voit des Anglais dès le 6 juin, qui réussissent à faire sauter les ponts de la vallée de la Dives.
Cependant, les troupes allemandes résistent à toutes les offensives. Les habitants étant évacués, les combats font rage jusqu’au 16 août, date de la retraite de la Wehrmacht sur la Seine. De la deuxième guerre mondiale Troarn sort détruite aux 2/3 comme nombre de villages et de villes de Normandie. Le bourg se reconstruit lentement (les derniers baraquements disparaissent en 1971) et reprend sa vie tranquille sur les bases étroites qui furent les siennes depuis le XIXe siècle.
Puis, en quelque vingt ans (1962-1982) le nombre d’habitants passe de 1000 à 3000. Entre 1975 et 1982 la population du canton de Troarn augmente de plus de 37%, record de toute la région de Basse-Normandie. Troarn se trouve emportée dans la croissance de la banlieue de Caen. Son urbanisation résulte à la fois de la défaveur pour les logements locatifs, du succès des prêts réglementés par l’Etat pour l’accession à la propriété, de la hausse des prix des terrains et des loyers de la grande ville voisine. Elle prend la forme de pavillons dont beaucoup sont construits dans des lotissements de toute taille.
Tandis que son canton est amputé de près de la moitié de son territoire en 1982 au profit de la station balnéaire de Cabourg, Troarn acquiert les aspects et les problèmes ordinaires de banlieues modernes. Ni la croissance du nombre des habitants, ni la traversée de la commune par l’autoroute Paris-Caen avec échangeur complet en 1997-1998, n’ont pu élargir notablement les bases de l’économie locale, ni rajeunir durablement la population. Tandis que la main d’œuvre s’emploie pour l’essentiel à Caen, faisant de Troarn
une cité dortoir, l’école primaire voit le nombre de ses classes tomber de 18 en 1980 à 10 en 1998. Ce faible dynamisme économique et démographique - qui n’est pas propre à Troarn - n’empêche pas une intense vie associative et publique. Aussi, la décision de fondre Troarn (et Bures) dans une commune nouvelle avec Sannerville sous le toponyme de Saline est immédiatement contestée (2016).
La résistance des habitants et d’une partie des édiles est telle que l’espérance de vie de Saline est vite compromise par un recours devant la justice administrative puis un référendum local (2017-2019). En 2020 Troarn redevient Troarn. Mais la fortune du bourg qui avait dépassé les 3 700 habitants en 2007 avant de retomber à 3 500 dix ans plus tard, apparaît désormais bien liée à celle de l’agglomération caennaise. Troarn qui avait grandi jadis à l’ombre d’un grand monastère, se développe ou se rétracte de nos jours à l’ombre d’une grande ville.
Quant à l’avenir, aujourd’hui comme hier, promesses et difficultés se combinent, de telle sorte qu’elles interdisent à l’historien et au géographe, à l’économiste et au démographe, de jouer les prophètes !
Jean LASPOUGEAS
Agrégé de l’Université,
Maître de conférences honoraire à l’Université de Caen,
Membre de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen
Membre de la Société des Antiquaires de Normandie