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Hospice : Rebellion à l'hôpital hospice

Rebellion à l’hôpital-hospice de Troarn

Deux documents, l’un datant de février et l’autre de mars 1763, un procès verbal d’huissier et un jugement rendu par l’intendant de la généralité de Caen, sont conservés aux archives départementales du Calvados ; ils ont trait à une rixe qui s’est tenue dans à l’hôpital-hospice de Troarn le 12 février 1763.
De prime abord, les faits semblent être de l’ordre de l’anecdotique, du domaine de la petite historie cocasse, du fait divers croustillant, et pourtant, cet épisode de l’histoire troarnaise est révélateur des troubles graves qui ont eu lieu dans la seconde partie du XVIIIe siècle.
Il n’y a pas de petite histoire, car tout événement, si minime soit-il, est une infime parcelle de la grande Histoire.


La mutinerie du samedi 12 février 1763
Elle est rapportée dans le procès verbal de l’huissier des tailles Jean François Mery qui, accompagné de ses assistants, se rend à l’hôpital des malades de Troarn pour se saisir de Louis Lucas qui y travaillait comme tailleur de pierres. On y apprend que Lucas doit au trésor royal la somme de 491 livres 7 sous ; à titre de comparaison, un menuisier à Rouen en 1764 gagnait 100 livres par an.
A quel titre un simple tailleur de pierre doit il une somme aussi énorme au trésor public ?
Sous l’ancien régime, les impôts directs, la taille, la capitation et le vingtième, sont perçus par des hommes désignés dans la paroisse, de simples particuliers. Ces collecteurs sont rétribués mais le rôle est particulièrement ingrat et difficile parce qu’ils sont tenus responsables sur leurs biens de la bonne rentrée de l’impôt et ils n’échappaient pas à la saisie de leurs biens, la compensation financière n’était pas suffisante et certains 

collecteurs furent ruinés. Louis Lucas et son père sont préposés au recouvrement du vingtième, auprès des habitants de Démouville.
L’huissier Mery somme Lucas de payer les 491 livres, il refuse. Mery veut l’emmener en prison à Caen. Lucas se met à jurer, se débat, se jette sur un des assistants de l’huissier, et lui arrache les cheveux.
Noël Ricard et son fils Louis, deux couvreurs qui travaillaient là, s’en mêlent et s’arment de bâtons , ils crient à Mery : « F …. tu ne le sortiras pas de la cour » et ils disent à Lucas « F… des coups de pieds et de poings »

Le groupe des rebelles grossit : dix ou douze ouvriers, dont trois tailleurs de pierre, Mathieu Bouet et son fils, et Michel Canivet, ainsi que des charpentiers, rejoignent Lucas.

A leur tour, ils menacent Mery et disent à Lucas : « F.. leur des coups, prend un bâton »
Ce qu’aurait fait Lucas. La bagarre devient générale pendant une demie heure Arrivée sur place, alertée par les cris, une soeur grise, religieuse franciscaine hospitalière, qui dit être la supérieure et s’appeler Reine, demande aux huissiers de quitter l’hôpital, sinon elle va les faire mettre dehors. N’étant pas en force devant cette mutinerie, Merry bat en retraite et décide d’aller chercher de l’aide auprès du commandant de la compagnie
de cavalerie qui est en garnison à Troarn. Fort de l’appui de la cavalerie, Merry retourne à l’hôpital où il fait chou blanc, la cavalerie n’arrive jamais à temps, c’est bien connu, la supérieure et les ouvriers avaient fait déguerpir le dénommé Lucas.

La condamnation intervient cinq semaines après, le 18 mars 1763

Elle est prononcée par l’intendant de la généralité de Caen. Sous l’ancien régime la France était divisée en 29 circonscriptions administratives, les généralités, à leur tête un intendant qui représente le roi et qui est compétent pour juger les litiges en matière fiscale.
La Normandie était couverte par trois généralités, Caen, Alençon et Rouen. L’intendant de la généralité de Caen de 1752 à 1777 est François-Jean Orceau de Fontette, 1718-1794. Autoritaire mais compétent et actif, il diminue la corvée royale dans la généralité de Caen, il crée des ateliers de charité, destinés à venir en aide aux plus pauvres. Mais Il est surtout connu pour ses grands travaux de réaménagement urbain à Caen, dans le but d’améliorer la circulation en deux endroits. D’abord, il fait démolir le Châtelet du pont Saint-Pierre, pont fortifié construit au XIIIe siècle, c’était une des portes de la ville de Caen qui servait d’hôtel de ville, non seulement il gênait la circulation mais aussi qu’il était en très mauvais état. Puis, il réaménage la place Saint-Sauveur : il fait raser une partie des fortifications et combler les fossés, il fait percer la rue Saint-Benoit (actuelle rue Guillaume-le-Conquérant) depuis la place des Petites Boucheries à travers les jardins de l’abbaye aux Hommes, et dans la continuité de la place Saint-Sauveur, il fait aménager une place octogonale, la place Fontette.
Non garanti sur le plan historique, il serait l'un des inventeurs de la teurgoule. En 1757, pour éviter l'explosion d'émeutes à la suite de la disette, il fait venir une cargaison de riz et propose une recette pour cuisiner cette céréale alors très peu répandue en Europe.
La condamnation est lourde pour tous. Conjointement avec son père Philippe, Louis Lucas, qui est détenu aux prisons royales de Caen, La Maladrerie à Beaulieu, est condamné sans surprise à régler les vingtièmes de la paroisse de Démouville. Quant aux autres, à savoir les couvreurs Noël et Louis Ricard, les tailleurs de pierre Michel Canivet, Mathieu et Pierre Bouet et la soeur Reine supérieure des soeurs grises sont condamnés solidairement à verser 500 livres d’amende pour leur rébellion et pour avoir facilité l’évasion de Louis Lucas. De plus, ils sont condamnés au payement de la dette des Lucas père et fils dans le cas où ceux ci seraient défaillants, ainsi qu’aux dépends (frais de procédure, d’actes, honoraires d’experts, indemnités dus aux témoins…). Enfin, ils devront payer les frais d’impression des affiches qui rendent publiques les condamnations. La condamnation est solidaire pour tous et elle est assortie d’une contrainte par corps c’est à dire d’une incarcération si les condamnés ne s’exécutent pas

Conclusion à méditer

« L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avant d’obtenir le moins possible de cris »
Jean Baptiste Colbert (1619-1683) Contrôleur général des finances de 1665 à 1683