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Les Boullement, notaires de Troarn ; histoire d'une dynastie - entête de rubrique

Texte de rubrique : Etude de Pascalle Louvet

Histoire d’une dynastie :
Les Boullement, notaires de Troarn, bourgeois de Caen,
paroissiens de Saint-Pair (1597-1776).

Lors de l’étude du procès verbal qui relatait le grand incendie de Troarn en 1653, un Troarnais avait attiré notre attention, Pierre Boullement, il avait pris en fermage les salles et les loges du marché de Troarn, c’était aussi un bouilleur de cru, un commerçant de spiritueux et il était propriétaire d’importants biens immobiliers détruits par le feu.
Parmi ces biens, figuraient : un groupe de bâtiments situé Grande Rue, récemment construit en pierre, ce qui laisse penser qu’il est en pleine expansion et que son commerce est florissant, composé d’une assez vaste maison à étages avec greniers, d’une boutique au rez de chaussée ; à côté, une grange pleine de foin et deux celliers renferment du cidre, du vinaigre et des petits fûts qui contenaient probablement de l’eau de vie ; un peu plus loin, toujours dans la Grande Rue, un important corps de logis à étages et avec grenier. On y trouve deux alambics pour distiller l’eau de vie et une impressionnante réserve de calvados, estimée à environ plus de huit cents litres, et une autre de petite eau de vie à environ plus de quatre mille cinq cents litres !
Nous avons voulu en savoir plus sur ce personnage et sur une famille dont le nom apparaît déjà dans les documents de la fin du XIVe siècle (Thomas Boullement). Les archives du notariat de Troarn nous apprennent que trois notaires portent le nom de Boullement : Guillaume Boullement, tabellion royal de 1673 à 1676, puis notaire de 1676 à 1695, Pierre Boullement, notaire royal de 1709 à 1758 et Thomas Boullement, notaire royal de1758 à 1763
L’enquête sur la famille Boullement a nécessité le dépouillement des registres paroissiaux de Troarn, de Saint-Pair, de Guillerville et de Saint-Michel de Vaucelles, malheureusement beaucoup d’entre eux ne nous sont pas parvenus. Pour ce qui concerne Troarn, ont échappé aux destructions, les registres des années 1564 à 1581, puis ceux de 1658 à 1792, ce qui fait une énorme lacune de 77 ans. Pour Saint-Pair, sont parvenus les registres de 1716 à 1718, et de 1737 à 1792, la lacune est de 19 ans et il n’y a aucun registre pour le XVIIe et le début du XVIIIe siècle. Pour Saint-Michel de Vaucelles, les séries sont fréquemment interrompues.

I. La fondation : la première génération
Pierre Boullement (1597 ou 1598 - 1665), bouilleur de cru à Troarn
et son épouse Catherine Auzerée (1620-1665)

Nous avons retrouvé la trace de notre marchand d’alcool et bouilleur de cru, Pierre Boullement de Troarn. Si son acte de baptême n’a pas été retrouvé, en revanche est connue sa date d’inhumation, le 22 janvier 1665 à Troarn, à l’âge « d’environ » 67 ou 68 ans, il serait né vers 1597-1598.
Son épouse Catherine Auzerée, inhumée un jour après lui, le 23 janvier 1665, à l’âge de 45 ans, est née en 1620. Tous les deux sont inhumés à l’intérieur de l’église Sainte Croix de Troarn, preuve qu’il s’agissait de Troarnais « de qualité ».

La différence d’âge, 22 à 23 ans, entre les époux, nous interpelle. C’est est un « grand vieillard » à une époque où l’âge moyen au décès n’est que de 52 ans, s’agissait-il d’un premier mariage, Pierre était-il veuf et s’était-il remarié avec une femme beaucoup plus jeune pour assurer sa descendance ? Impossible de répondre puisque manquent les registres paroissiaux de 1581 à 1658.

Comment expliquer le décès du couple à un jour d’intervalle. Ce mois de janvier 1665 est particulièrement « mortel » car du 5 au 23 quatre autres Troarnais ont été inhumés dans le cimetière, cette mortalité est très supérieure à la moyenne mensuelle à Troarn qui est inférieure à 1. Cette année 1665 s’inscrit elle dans une crise démographique ? Certainement pas, la dernière crise démographique a touché les années 1661 à 1663, en outre, cette surmortalité de janvier ne se constate ni les mois précédents ni les mois suivants.
Tous les défunts de janvier ont reçu les sacrements avant de mourir, donc ils ne sont pas morts de « male mort », la pire mort, la mort brutale, accidentelle, qui prive le mourant de sa conscience avant d’avoir reçu le viatique. Ce ne peut être une crise de malaria foudroyante, puisque nous sommes en janvier et qu’il n’y a pas de moustiques. On est manifestement en présence d’une épidémie due à un virus. En plein hiver, on peut penser qu’ils ont succombé à une méchante grippe, à une méningite ou au typhus.
A coup sûr, Pierre et Catherine ont eu au moins trois fils et deux filles :
Anne, dont on ignore la date de naissance, se marie le 17 juillet 1664 à Troarn avec Louis Aubert, à cette époque l’âge au mariage des Troarnaises est entre 20 et 24 ans.
Guillaume, sieur des Vignes, serait né vers 1648 et est inhumé le 9 mai 1695 à Troarn. Il se fiance à Troarn le 3 janvier 1672 avec Marie Rémanger une Troarnaise
Louis, sieur d’Inglemare (il est possible que lors du partage de l’héritage de leur père, les fils aient reçu chacun une terre, celle des Vignes et celle d’Inglemare et qu’ils aient alors pris le nom de leur terre). Son acte de baptême n’a pas été retrouvé, il est « bourgeois de Caen » quand il se fiance à Troarn avec Marie Pauthonnier de Saint Pair le 20 février 1672 ; c’est son frère Guillaume qui rédige le contrat de mariage. Ce couple aura au moins deux filles, nées toutes deux à Guillerville, Jeanne en 1673 et Marie Elisabeth en 1678.
Un fils mort-né le 15 juin 1659 et ondoyé le même jour par la sage-femme. Marie, née le 20 mars 1662 à Troarn.

Il est probable que Pierre et Catherine aient eu un autre fils car dans les registres paroissiaux de 1674 de Saint Michel de Vaucelles est mentionné le couple Thomas Boullement et Elisabeth Hébert, certes ils sont dits « bourgeois de Caen Vaucelles », mais ils sont aussi très impliqués dans la vie paroissiale de Troarn où ils sont régulièrement sollicités pour être témoins de mariage, parrains et marraines. En outre, bien qu’étant de la paroisse Saint Michel de Vaucelles, Thomas est receveur général de l’abbaye de Troarn en 1701, puis de 1709 à 1714 trésorier de l’église sainte Croix de Troarn. Alors serait-il un quatrième fils de Pierre et de Catherine ?
On remarque que les descendants de Pierre Boullement ont tissé des liens avec la paroisse de Vaucelles, dans le but d’obtenir le titre de « bourgeois de Caen » ce qui présentait alors un sérieux intérêt financier. La situation fiscale du bourgeois de Caen était enviable : en 1484, Caen avait obtenu de payer une taille « tarifée » : impôt dont le montant était fixée par le Conseil du roi, perçu sur les marchandises qui entraient et qui sortaient de Caen. En 1664, privilège supplémentaire, elle sera « abonnée » : fixée forfaitairement à 28 000 livres (en 1663 quand elle était tarifée et non abonnée son montant était de 67 000 livres). C’est pourquoi, dans tous les actes, on n’omettait jamais de préciser qu’on était « bourgeois de Caen ».
Pour obtenir la qualité de « bourgeois », beaucoup de ruraux enrichis achetèrent des propriétés en ville ou dans un hameau en limite de la ville où ils ne furent pas trop dépaysés. Ainsi, les Boullement achetèrent sûrement une propriété à Vaucelles, paroisse de Caen, mais cela ne signifie nullement que ces nouveaux bourgeois d’origine rurale allèrent vivre en ville, beaucoup préféraient demeurer à la campagne.

II. La consolidation : la deuxième génération
Guillaume Boullement (1648 -1695) bourgeois de Vaucelles, premier notaire
du nom à Troarn pendant 22 ans et son épouse Marie Rémanger (1649-1696)

Guillaume Boullement, le fils de Pierre et de Catherine, continue l’ascension sociale entreprise par son père, et pourtant il n’a que 17 ans au décès de ses deux parents. Il serait né vers 1648, le 25 novembre 1673 âgé de 25 ans, il épouse Marie Rémanger, âgée de 24 ans. Il est inhumé le 9 mai 1695 et Marie le suit le 28 septembre 1696, tous deux sont inhumés dans l’église Sainte Croix de Troarn.
Dans la promesse de mariage faite le 3 janvier 1672, Guillaume porte le titre de « sieur des Vignes et bourgeois de Caen », en 1673 il porte celui de « tabellion royal à Troarn et bourgeois de Vaucelles », plus tard il devient « notaire héréditaire à Troarn et receveur général de l’abbaye ». A cette époque, les offices de notaires doivent être achetés et celui de Troarn a été payé 1 500 livres en 1677 ; les prix des offices normands allaient de 12 000 pour chacun des quatre offices de Caen, 10 000 pour chacun des deux offices de Bayeux et pour le reste des autres paroisses variaient de 2 500 à 600 livres.
Mais la vie s’interrompt très tôt pour Guillaume Boullement, à l’âge d’environ 45 ans, après avoir exercé comme notaire pendant 22 ans ; il est inhumé dans l’église Sainte Croix de Troarn le 9 mai 1695. Son épouse Marie Rémanger le suit le 28 septembre 1696, elle est aussi inhumée dans l’église de Troarn.
Le couple aura au moins deux filles et deux fils. Une première fille, Catherine, naît en 1673 à Troarn, hors mariage, mais elle est reconnue par son père.
Une deuxième fille, Marie, naît en 1678 à Troarn. Bien triste sera la destinée de Marie, mariée à 14 ans et 3 mois, en 1693 à Troarn, elle meurt à 15 ans et 3 mois, en 1694 à Troarn, après moins d’un an de mariage.
Un premier fils, en 1684, Pierre Antoine, qui avait donc onze ans à la mort de son père Guillaume, ce qui explique qu’il n’ai pu lui succéder dans sa charge de notaire.
Il faut attendre que Pierre Antoine ait atteint ses 25 ans pour qu’il récupère l’office héréditaire de notaire de Troarn, qu’il exercera du 31 mai 1709 au 26 aout 1758.
Un deuxième fils Louis pour lequel nous n’avons aucun renseignement.

III. L’apogée : La troisième génération
Pierre Antoine Boullement (1684 - 1760) deuxième notaire du nom à Troarn
pendant 49 ans et son épouse Marie-Catherine Boullement

Ayant récupéré la charge de notaire de son père Guillaume, Pierre Antoine Boullement devient le deuxième notaire de la famille le 31 mai 1709 à l’âge de 25 ans. Il se marie avec Marie Catherine Boullement de Saint Pair avec laquelle il aura d’abord un fils Thomas né probablement en 1706 à Saint-Pair puis quatre filles, Noëlle Gislette Suzanne née à Saint-Pair en 1716, Geneviève Michelle
Anne née à Saint-Pair en 1718, Marie Catherine Françoise et Marie Anne
A 57 ans, Pierre Antoine est déjà veuf en avril 1741, lors des fiançailles de sa fille Anne. Jouissant manifestement d’une excellente santé et d’une grande vitalité, ce n’est qu’à 74 ans, et après 49 ans d’exercice professionnel, qu’il prend sa retraite en 1758 et qu’il cède sa charge de notaire à son fils Thomas ; il décède le 25 avril 1760 à l’âge de 76 ans et il est inhumé dans l’église de Saint-Pair.

IV. La fin : la quatrième génération
Thomas Boullement (1706 - 1776) de Saint-Pair, bourgeois de Caen, troisième
notaire du nom à Troarn pendant 5 ans et et son épouse Marie Anne Clouet

Thomas Boullement est un vieil homme de 52 ans lorsque le 29 aout 1758 il devient notaire. Il ne la conserve la charge que pendant cinq ans et la revend le 9 octobre 1763, âgé de 57 ans. Thomas est un « tardif », il se marie sur le tard, à 47 ans, le 25 septembre 1753 dans l’église de Saint-Pair, il épouse Marie Anne Clouet, fille d’un marchand de Lieurey (Eure). Le couple n’aura pas de descendance, pas de fils pour reprendre l’office, il n’y aura pas de quatrième notaire Boullement et la dynastie notariale des Boullement s’éteint le 4 février 1776 avec Thomas Boullement qui sera inhumé dans l’église de Saint-Pair.
En 1673, Guillaume avait été le premier Boullement tabellion, en 1763 Thomas est le dernier Boullement notaire. Pourquoi la dynastie s’est elle éteinte après quatrevingt- dix ans ? On ne peut qu’émettre des hypothèses : Pierre Antoine Boullement avait fait trop de filles et pas assez de garçons, il avait conservé trop longtemps les clés de l’étude et la succession était arrivée trop tard pour son fils Thomas qui était un homme âgé sans descendance et probablement prématurément vieilli par une trop longue attente.